Crédit social : crédit démocratique ?

Les chinois prévoient d’introduire d’ici 2020 un système de crédit social reposant sur le comportement individuel. Le comportement inadapté de chacun le priverait alors tout bonnement de certains droits et le restreindrait dans d’autres, plus son crédit social et plus sa vie devient pénible. 

C’est la levée de bouclier sous des cris d’orfraie en Occident, faisant référence à divers films de cinéma, relevant que c’est un moyen de museler l’opposition, un moyen d’oppression. Pas moi, qui pense que c’est au contraire jeter bébé avec l’eau du bain et que le crédit social est la base de la démocratie et de la liberté. 

Les chinois sont habitués aux peines alternatives

Alors que chez nous on retrouve des jeunes qui avant même d’avoir l’âge du RSA ont déjà un dossier long comme le bras de condamnations : « Untel, 24 ans, déjà 17, 24, 79 condamnations pour trafic/violence/vandalisme/ivresse/incivisme/etc. ». En Chine, ça n’existe pas. Non pas que contrairement à ce qu’on imagine celui qui se comporte ainsi se prendra une balle dans la tête. C’est simplement que leur système judiciaire est volontiers plus didactique que le nôtre, beaucoup plus ancien, aussi. La justice chinoise n’est pas plus dure que la nôtre, même si malgré l’absence de chiffres officiels on sait que la peine de mort est allègrement pratiquée. Le comportement déviant incivique n’est pas systématiquement criminalisé, comme c’est le cas chez nous, préférant l’ostracisation de l’individu, son humiliation.

Ainsi, une diversité de peines didactiques existent. Un individu peut par exemple être condamné à se déplacer avec un brassard signifiant : « j’ai volé! ». Et partout où il va, il est moqué, hué. Pas la peine de déménager, s’il est pris sans son brassard, c’est plus grave que l’acte pour lequel il a été contraint à le porter. De fait, toute la communauté de son quartier sait bien ce qu’il a fait. Hors de question d’avoir été en voyage deux mois discrètement.

…Et une fois sa peine achevée, il retire son brassard et il est complètement réintégré, plus personne ne lui parlera plus jamais de sa peine. En raison de son comportement il a connu l’opprobre, il a payé, désormais tout le monde lui fait confiance.

La justice occidentale, une arme oppressive

Notre justice est considérée comme « démocratique ». Un fait accepté par tous, sans que personne ne se pose la question de la pertinence de cette assertion. Finalement, elle n’est « démocratique » que parce qu’elle est occidentale, pas comme celle de la dictature chinoise, point !

De fait, chez nous, le même individu qui a commis un acte délictuel anodin va se retrouver condamné, éventuellement en prison. Ce qui va simplement amener sa criminalisation. Repris de justice, on l’est toute sa vie et il va être difficile de s’extraire de cette condition. Vous allez en prison deux mois pour vol à 18 ans, il vous arrive une tuile à 35 ans, vous entendrez : « il était déjà allé en prison à 18 ans pour de tels faits ». Et un autre point essentiel d’une condamnation, c’est que celui qui la reçoit n’a aucune influence dessus. Il pourra au plus éviter d’être à nouveau condamné, mais sur cette condamnation, il ne pourra rien.

La réinsertion n’est donc tout simplement pas possible, du moins pas sans dommages. Il n’y a pas de rédemption possible. Quel que soit le comportement du condamné, ça ne change rien, il a été condamné, il n’y peut rien, c’est à vie, quel que soit son comportement, le condamné n’a absolument aucune influence sur sa condamnation. Et ce que cette condamnation implique sur sa vie induira plus probablement qu’il y en aura d’autres, puis d’autres et que finalement sa vie consistera à se faire condamner.

Ce n’est ni « démocratique », ni civilisé et encore moins didactique. Ca criminalise les individus qui développent un esprit revanchard et apprennent le métier de criminel en prison. Alors qu’avec le crédit social, l’individu est directement confronté à la responsabilité de ses actes par le durcissement de sa vie et bénéficie directement de la modification de son comportement par un retour en grâce.

Le crédit social, une sanction didactique

On apprend qu’un individu a perdu des points de crédit social parce qu’il avait laissé des vélos garés illégalement devant sa boutique durant 15 jours. Quel scandale, nous, nous aurions été plus civilisés : amende et en cas de récidive on la double et si ça ne suffit pas on l’envoie au tribunal pour non application d’un procès-verbal, c’est tellement plus intelligent, plus démocratique. D’ailleurs, pensez donc, on envoie les gens au tribunal pour avoir téléchargé des films ou de la musique en P2P, imaginez si vos vélos sont mal garés…

De faire n’importe quoi devant sa boutique, c’est juste de l’incivisme. Ca ne justifie pas d’une peine, c’est simplement un comportement qu’il faut corriger. Comme un jeune qui casse des boîtes aux lettres dans son HLM ou qui met le feu à des poubelles ou qui marche sur un parterre de fleurs. Ce sont des comportements civilement déviants, pas des comportements criminels. Si on condamne le coupable a du sursis pour « dégradation volontaire, incivisme, vandalisme, atteinte à la propriété privée, voies de faits, etc. », ça ne fait de lui qu’un condamné. Et lorsqu’il aura récidivé et que son sursis sera tombé et sa peine augmentée, il devient un criminel.

On transfère la responsabilité de la charge de la peine de la communauté à la justice, littéralement, la communauté s’en débarrasse. Le temps que le coupable subit sa peine, la communauté est soulagée, elle respire… mais il va revenir et recommencer, considéré comme une « petite frappe », un « voyou », un « repris de justice qui a déjà fait de la prison ».

Alors que ce condamné empoisonne la vie de tout le monde, celui qui a perdu des points avec le crédit social, c’est tout le monde qui lui empoisonne la vie. Mais avec la différence que de changer son comportement  a une influence directe sur sa vie. Il lui suffit d’adapter son comportement civique pour acquérir des droits. Alors que celui qui est condamné n’a aucune influence sur sa peine, celui qui perd des points de crédit social peut décider lui-même de la vie qu’il souhaite, vivant en subissant l’ostracisme du système qu’il rejette par ses actes… ou alors de le respecter et d’en bénéficier. L’effet didactique est évident.

Le crédit social, une arme d’oppression ? 

Alors, évidemment, la bien-pensance occidentale s’étrangle de la possibilité offerte à l’Etat de pouvoir opprimer l’opposant en lui retirant des droits. Mais en réalité, ce n’est qu’une dérive du système, pas le système lui-même. Est-ce que chez nous la justice n’est pas une arme d’oppression ? Celui qui gêne au système n’est-il pas mis sous surveillance, « fiché S » ? Qu’à fait le gouvernement avec l’état d’urgence ? N’a-t-il pas fait des descentes chez des individus qui n’avaient pour seul tort que d’être des écolos ? Certains s’étant retrouvés assignés à résidence parce qu’ils étaient « potentiellement violents » ?

Reprenons pour bien comprendre : l’état d’urgence a été décrété en raison du terrorisme islamique, mais on a perquisitionné des gens qui n’étaient ni musulmans, plus souvent même plutôt athées, parce qu’ils étaient écolos « radicaux » et on les assignés à résidence et fichés S (comme Surveillance, des individus mis en observation des Renseignements Généraux de la Police) aux côtés des fameux terroristes islamiques du Bataclan ou de la Promenade des anglais à Nice.

…Et c’est le crédit social qui est une arme d’oppression de l’opposition ? Bien sûr que le gouvernement peut l’utiliser pour gêner les opposants. Mais il n’a pas besoin du crédit social pour cela, comme notre système le démontre qui  peut aussi empoisonner la vie de quelqu’un qui gêne. En France, et je suis bien parlé pour le savoir, si on gêne des puissants par ses idées, vous n’avez plus droit à la parole, il n’y a plus de télévision pour vous, plus de journaux, plus rien. Vous pouvez faire votre chaîne Youtube, écrire sur votre blog, twitter à peu près ce que vous voulez, en faisant bien attention à rester dans les clous, Dieudonné en sait quelque chose (et je dis ça alors que je reproche à Dieudonné de n’avoir pas adapté son comportement). Tant que Dieudonné restait dans les clous, tout se passait bien. Il détournait de l’argent vers sa maison au Cameroun, il fraudait le fisc, il merdouillait la gestion de sa petite entreprise, tout allait bien. Une fois sorti des clous, la foudre lui est tombée sur la tête.

Alors bon, prétendre que le crédit social est une arme d’oppression, franchement…philosophiquement, ça le fait moyen !

Le crédit social, le socle de la démocratie 

Ainsi, le crédit social ne fait-il que sanctionner les comportement inadaptés. L’individu perçoit directement les fruits de son comportement. Vous empoisonner la vie des gens ? >> Votre vie est moins agréable. Vous avez une vie intégrée au milieu des autres ? >> Votre vie est agréable, tout va bien.

On a tendance à considérer chez nous que tout le monde est égal devant les institutions, dans les administrations. Mais non, en fonction de quoi l’individu qui crache sur le système, qui empoisonne la vie des gens aurait-il le même droit à accéder au guichet de la Sécu que ceux à qui il a empoisonné la vie ? J’aime mieux vous dire que si je me retrouve dans la même file que le gars qui m’emmerde au quotidien et que lui passe, mais pas moi parce que c’est la fermeture, je vais râler. Par contre, si cet emmerdeur est relégué à l’arrière, il passera SI il y a le temps, sinon il reviendra, ce sera loin de me gêner. Non, cet individu n’a pas à bénéficier des mêmes droits que moi. Non, il n’est pas mon égal. Il n’est pas question de le pendre ou je ne sais quoi. Mais si vous empoisonnez la vie des gens, les gens n’ont pas en plus à vous respecter pour cela, c’est aussi simple que ça.

Et au-delà du rétablissement de cette injustice, si l’individu qui a un comportement inadapté perd des points et le paie sur sa qualité de vie, en revanche, celui qui a un comportement parfaitement adapté en gagne. Ce qui lui donne droit à la parole, en tant que citoyen. Un bon citoyen est toujours plus écouté qu’un mauvais, c’est normal. Sauf qu’avec le crédit social, on sait qui l’est.

Et on ne retire pas des points « pour désaccord avec le gouvernement ». C’est du crédit « social », ça concerne la vie en société. Vous avez un bistrot avec une terrasse, vous avez tendance à déborder, on vous met à l’amende. Comme la terrasse vous rapporte, vous restez comme ça, quitte à payer une nouvelle amende à chaque fois qu’on vous tombe dessus. Avec le crédit social, vous reculez vos tables, parce que sinon votre vie va s’en ressentir. Et en reculant vos tables, c’est la vie de tous ceux que vous gêniez qui va s’améliorer aussi.

Le problème, c’est la collecte de l’information

Ah oui, l’individu est surveillé en Chine, c’est « Big Brother is watching you », pas comme chez nous, quoi. Vous croyez vraiment que chez nous on peut faire n’importe quoi ? Si tel était le cas, il n’y aurait pas autant de monde en prison, il n’y aurait pas des radars et des caméras partout. A quoi serviraient les Renseignements Généraux de la Police ? Ils ont été créés pour donner une bonne place de directeur à un haut fonctionnaire vous pensez ? Nous avons une adresse internet : http://internet-signalement.gouv.fr, à laquelle sont transmis les commentaires haineux, injurieux, diffamatoires, vous croyez vraiment qu’au bout il n’y a personne pour recevoir vos doléances ?

L’information, chez nous, est permanente, tout le temps, sur tout le monde, pour tout. Que vous n’aimiez pas De Gaulle, on s’en tape, mais si vous êtes antifa, facho, membre d’une secte dangereuse, on veut le savoir et on en fait une fiche que l’on sortira le moment venu si un magistrat doit vous condamner. Il ordonnera une enquête de moralité, qui sera transmise aux RG, qui sortiront votre fiche, en établiront un portrait de votre personnalité. La Gendarmerie se déplacera dans votre environnement, elle ira voir le maire, pour le questionner sur vous, savoir si il a eu connaissance de faits à votre encontre.

Encore mieux : vous roulez, de nuit, il n’y a personne, tout est désert, sur une voie de bus pour aller vous garer, deux mois plus tard vous recevez une amende à la maison : vous avez été filmé par une caméra. Et si en plus vous ne portiez pas la ceinture et que vous téléphoniez, vos carottes sont cuites. Et ça, ce n’est pas en Chine…

Faire preuve de créativité plutôt que d’obstruction

Imaginez que vous ayez un crédit de base de 100 points. Vous pouvez en accumuler autant que vous voulez, mais plus vous en perdez, plus votre vie devient difficile. Pour reprendre l’exemple choisi par les auteurs de l’article que j’ai mis en lien d’introduction, vous avez laissé vos vélos garés illégalement 15 jours ? >> 97 points ! On vous retrouve bourré en train de gueuler à deux heures du matin ? >> 95 points ! Vous avez eu une amende pour excès de vitesse ? >> 90 points ! Vous crachez par terre dans la rue (une spécialité bien chinoise que les autorités s’échinent à corriger depuis longtemps) ? >> 85 points ! Vous jetez un papier par terre ? >> 80 points ! Vous commettez un acte de vandalisme, vous avez arraché les fleurs de mécontentement dans le bac devant la mairie ? >> 77 points !

A 90 points, ma foi, vous êtes un citoyen banal, avec sa petite vie. A 80 points, vos dossiers traînent un peu dans l’administration, ils passent du statut prioritaire A au niveau B sur une échelle de A à E. A 70 points, vous ne pouvez plus quitter le pays, votre comportement incivique donne une mauvaise image du pays. A 60 points, vous ne pouvez plus faire de déplacements à l’intérieur du pays et dans les administrations, si vous posez une question, on ne vous répond même plus, à vous de vous débrouiller pour trouver la réponse, on a plus de temps à perdre avec vous. Etc.

A contrario, vous adaptez votre comportement, vous devenez civique, vos points remontent à un rythme donné. Par exemple, il faudrait une dizaine d’années pour reconstituer l’intégralité du capital. Ainsi, après une semaine, vous récupérez un point, un autre deux semaines plus tard, un autre trois semaines plus tard, un autre un mois plus tard, etc. Vous récupérez ainsi une dizaine de points par année, mécaniquement. Votre comportement adapté a une incidence directe sur votre vie. Non seulement votre crédit social remonte, mais sur votre fiche il est inscrit : « crédit social en hausse » au lieu de « crédit social en baisse ». On voit que vous faites des efforts, même si votre crédit est faible, on a envie de vous encourager, vous êtes sur la bonne voir pour reprendre le train.

Et vous pouvez en gagner : vous faites du bénévolat humanitaire, social, éducatif ? Vous êtes pompier volontaire ? Vous commettez un acte de bravoure dans un incendie où vous avez sauvé deux enfants ? >> La communauté vous offre dix points, comme au Monopoly quand vous passez par le Start en évitant la prison.

A 100 points vous bénéficiez de l’intégralité de vos droits de citoyen. On pourrait imaginer qu’à 200 vous recevez une médaille, un diplôme du bon citoyen. La Légion d’Honneur, peut-être ?

Si vous braillez un truc contre le système dans la rue avec un porte-voix, que vous tenez des propos séditieux sur votre blog, il est normal que vous soyez sanctionné. Si vous voulez changer le système, il va falloir accepter l’idée qu’il se défendra. Parce que « changer le système », c’est d’abord le déstabiliser. Et un système, c’est très difficile à stabiliser, même s’il ne vous semble pas parfait. Donc si vous voulez le changer, vous devrez vous montrer fort et juste, c’est normal. Ainsi, si vous avez 70 points et que vous braillez contre le système, vous êtes juste un parasite qui emmerde une fois de plus le monde et à qui on va encore retirer dix points. Si vous avez 130 points, vous avez littéralement acquis votre droit à vous opposer, à critiquer le système, votre probité ne saura être mise en doute. On vous retirera dix points pour avoir eu ce comportement, mais vous en aviez 130 et vous en avez sacrifié dix pour vos convictions, c’est méritoire. De perdre des points en cette circonstance, d’avoir été un opposant, devient méritoire.

Le crédit social, plus qu’une arme d’oppression est donc un véritable crédit démocratique ! Bien sûr qu’il peut amener des dérives, mais pas plus que n’importe quel autre système et il est beaucoup moins onéreux, bien plus didactique et plus souple.

 

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