Désormais c’est avéré, l’Ukraine a d’ores-et-déjà perdu la guerre. La soutenir directement ne sert à rien, c’est l’Europe que nous devons protéger. J’avais dit au moment de l’invasion que nous aurions dû attaquer la Russie en Ukraine en envoyant des troupes pour stopper Poutine en lui montrant notre détermination. S’il ouvrait le feu, nous aurions répliqué. Mais il ne l’aurait pas fait. Quand il a envoyé ses troupes en Ukraine, il s’attendait à ce qu’elle tombe et qu’alors il aurait pu négocier directement. Il a été pris de court, s’est trouvé contraint de hausser le ton, il y a eu les premiers morts et à partir de ce moment il n’avait plus le choix, il s’est retrouvé obligé de continuer. Si nous l’avions bloqué à ce moment-là, il n’aurait pas été humilié, son image de grand chef d’Etat n’aurait pas été écornée. Il aurait pu négocier et se présenter à son peuple comme un grand chef qui a eu raison de faire une incursion en Ukraine. Ne l’ayant pas fait, nous nous retrouvons dans la situation actuelle.
Comme nous sommes pleutres, nous avons préféré sacrifier les ukrainiens pour qu’ils mènent notre guerre
Au moment de l’invasion de l’Ukraine Poutine s’imaginait qu’elle prendrait peur en raison de sa faiblesse et, paralysée, il pourrait alors la contraindre à négocier. L’Ukraine a résisté, Poutine a alors haussé le ton, ce qui a engendré les premiers morts, une accélération du conflit, la perte massive de matériel, il s’est retrouvé coincé, il ne pouvait plus revenir en arrière en disant au peuple « j’ai essayé, ils se sont défendus, tant pis », c’était évidemment inacceptable. Il n’a donc pas eu d’autre choix que de s’enfoncer dans le conflit en faisant comme ci c’était son objectif premier. A ce moment-là, si nous avions courageusement envoyé une colonne avec quelques centaines de milliers d’hommes pour montrer notre détermination, nous aurions paralysé l’agression russe. Avec un peu de finesse diplomatique montrant que nous les prenions très au sérieux, en mettant en exergue le rôle de chef d’Etat de Poutine, qui ne se serait pas retrouvé humilié, nous aurions pu lancer des négociations. Mais sous prétexte de ne pas propager le conflit nous nous sommes courageusement abstenus, sacrifiant les ukrainiens qui mènent alors notre guerre. C’est que ce n’est pas l’Ukraine que Poutine attaque, il défend le droit de la Russie d’accéder à la Méditerranée, qui est compromis depuis des décennies par les américains par des manigances diverses impliquant l’OTAN qui a dressé un rideau de fer le long de la frontière russe. Et c’est parce que l’Ukraine a été européanisée de force pour prendre le contrôle du Detroit de Kertch que Poutine a annexé la Crimée. S’il ne l’avait pas fait, la base historique en Mer Noire de Sebastopol aurait dû être fermée ou se serait retrouvée enclavée, entourée de l’OTAN, ce qui aurait été intenable. Le Detroit de Kertch passé sous contrôle de l’OTAN aurait virtuellement coupé l’accès à la Mer Noire depuis la Mer d’Azov à la base de sous-marins de Rostov-sur-le-Don. A un moment donné, la Russie est en droit d’émettre des exigences. Je ne légitime pas ici l’agression de l’Ukraine, tout ceci relevait de la diplomatie jusqu’à ce que Poutine attaque, ce qu’il n’aurait jamais dû faire et qui est impardonnable. Selon moi, si Poutine a attaqué c’est parce qu’il est usé par 20 ans de pouvoir. On trouve ici la raison pour laquelle il est crucial de remplacer ses hommes politiques. Quand vous subissez les vexations de vos homologues depuis trop longtemps, vous ne raisonnez plus. Et comme plus un individu est longtemps au pouvoir, plus son pouvoir grandit et plus il se convainc lui-même que s’il est à cette position c’est qu’il est bien pour son pays, plus il est convaincu qu’il doit combattre l’opposition qui tente de l’empêcher de distiller ce bien à son pays et voilà comment on devient dictateur.
Toujours est-il que le camp Occidental n’a rien fait, se contenter d’envoyer au casse-pipe les ukrainiens, qui n’avaient aucune chance contre la Russie, quel que soit leur immense courage et leur détermination. Les ukrainiens font preuve d’une dignité remarquable, mais ils sont moins nombreux que les russes, moins brutaux que les russes, qui exécutent purement et simplement ceux qui refusent d’aller se faire tuer. Poutine agit en fou sanguinaire sans limites, qui prend exemple sur Hitler et Staline, ce qui le dédouane de toutes les abominations qu’il pourrait causer. Ce renoncement à intervenir a permis à la Russie de se renforcer progressivement, devenir de plus en plus irrépressible, au gré que l’Ukraine s’affaiblissait. Désormais, on peut même douter que Poutine accepterait de négocier, puisque pour lui il n’y a plus lieu de le faire, il lui suffit d’attendre que l’Ukraine soit à genoux pour la prendre. Pourquoi se contenter de ce qu’on a si on peut tout prendre ? Après tout, la Russie a largement payé le prix, elle a le droit, au sens des russes, de prendre tout le territoire pour s’indemniser. Ca implique que si il y a encore un an il aurait été possible de proposer à Poutine la paix moyennant de lui donner le Donbass et la Crimée, aujourd’hui il n’a tout bonnement plus aucune raison de l’accepter. La Russie a noué de nouveaux partenariats, réorienté son économie, la propagande bat son plein, le soutien à la guerre est massif dans la population, de même qu’à Poutine, tout va pour le mieux pour lui qui vient d’être réélu. Pourquoi il cèderait ? D’autant que dans l’immédiat Trump est encore potentiellement le prochain président. Auquel cas Poutine aurait un boulevard devant lui. Trump a déjà annoncé qu’en tous cas de donner des moyens à l’Ukraine gratuitement serait hors de question (il a aussi proposé de donner à Poutine le Donbass et la Crimée, ce qui en soi pourrait sembler raisonnable, si ce n’était pas sans contrepartie). Il a donc l’onde verte, il lui suffit de ne pas accélérer, de conserver le rythme, il va arriver au bout des capacités défensives de l’Ukraine très bientôt.
Concrètement, que va-t-il se passer ? Que pourrait-il se passer ? :
Si Poutine prend l’Ukraine, et donc le contrôle de la Mer Noire, il soumet à l’influence de la Russie toute la zone, qui est la clé de l’Ordre mondial, qui va inéluctablement changer. La Roumanie ou la Bulgarie perdent leur accès à la mer, qui sont la porte d’entrée des approvisionnements de l’Europe de l’Est. La Géorgie perd son soutien européen et tombera totalement sous la domination russe. La Turquie, dont la côte Nord est intégralement le long de la Mer Noire, se retrouvera fortement sous influence russe. C’est qu’il faut bien comprendre ce qu’implique un contrôle de la Mer Noire par la Russie : plus un bateau ne circule sans l’autorisation des russes. Si un bateau fait le forcing, il est arraisonné ou même coulé. Et, bien évidemment, le Bosphore, aujourd’hui sous influence de l’OTAN, passe sous contrôle de la Russie. La Turquie n’aura pas d’autre choix que de renoncer à sa participation à l’OTAN si elle veut pouvoir s’approvisionner sans contrainte et exploiter sa côte.
D’autant que les approvisionnements, ce sont les flux alimentaires, mais aussi de biens que de l’armement ou des matières premières. Lorsque des biens sont importés en Europe de l’Est, ils passent par Suez, puis la Mer Egée, la Mer de Marmara, la Mer Noire et un port en Roumanie ou Bulgarie et ensuite distribués en Europe de l’Est. La route, dans ce sera, sera coupée, il faudra tout faire venir par terre. Des dizaines de millions de tonnes de marchandises supplémentaires par la terre, à l’instar du corridor Inde-Moyen-Orient-Europe signé en 2023… Mais il y a aussi les approvisionnements alimentaires. Le contrôle de la Mer Noire confère à la Russie la capacité de couper quasiment 25 % des approvisionnements alimentaires mondiaux, elle peut littéralement affamer le monde sur simple décision de Poutine. Ce qu’il ne se gênerait pas de faire, bien évidemment, c’est le moyen de pression idéal et c’est ce qu’il a immédiatement exploité au début de la guerre en Ukraine.
Mais est-ce dans l’intérêt de Poutine ?
Il annonce certes à tout moment de nouveaux missiles, de nouveaux sous-marins, il place la Russie en état d’économie de guerre, mais le rôle des armes n’est pas de détruire, mais de ne pas servir, c’est leur vraie fonction. Si les munitions ont pour objectif d’alimenter la guerre en Ukraine, les missiles et les sous-marins ont celui de faire en sorte que la Russie ne soit pas prise à la légère. Mais nous sommes les voisins immédiats de la Russie et traditionnellement leurs amis. Nos cultures sont très proches et nous aimons leur littérature, leurs arts, leur musique. S’il atteint ses objectifs, qui sont de préserver l’accès de la Russie à la Méditerranée et donc le contre-pouvoir qu’elle y représente, il a bien plus à gagner dans un rapprochement avec l’Europe et restaurer son image de chef d’Etat, qui passerait alors pour victorieux aux yeux de son peuple et nous apporterait à nous potentiellement de fructueux échanges au lieu de passer pour belliqueux et de s’enfoncer dans une guerre contre l’OTAN qui, même sans les américains, est une force significativement puissante.
Objectivement, que voulait Poutine au moment de l’invasion ? Quels étaient ses objectifs ? Bien sûr, s’opposer à l’OTAN qui dresse un rideau de fer tout le long de la frontière russe et préserver, on l’a vu, ses accès à la Méditerranée. Mais derrière tout ça, l’objectif ultime, c’était d’éloigner les américains de l’Europe, de réduire sa vassalité transatlantique. Pour l’Europe, c’est impossible, parce que les américains ont une règle en diplomatie, qu’ils appliquent méthodiquement à la lettre c’est : « vous êtes avec nous ou contre nous ! ». Et donc si l’Europe avait fait le geste d’une tentation à se rapprocher des russes, de suite les américains interviennent en rappelant que les amis de leurs ennemis sont leurs ennemis. Mais si ce sont les américains eux-mêmes qui s’éloignent de fait de l’Europe ? Les américains commencent à lâcher l’Ukraine et par conséquent l’Europe. Leur soutien sans faille faiblit, il craque de partout. Il faut dire que cette guerre loin de chez eux leur coûte cher. Il devient difficile d’expliquer au peuple pourquoi il doit subir tant de privations et accepter l’endettement de son pays pour une guerre qui ne semble pas le concerner directement. Pour la population américaine, la guerre en Ukraine s’apparente à celle du Viet-Nam. Même chez nous d’ailleurs la population est très loin de comprendre les enjeux énormes et dramatiques de cette guerre. Si la Russie gagne la guerre et prend le contrôle de la Mer Noire, ce sera le début du déclin de la civilisation occidentale. C’est absolument épouvantable et, pire que tout, nous devrions subir le joug des russes, c’est évidemment inenvisageable. Alors, si notre population ne comprend pas cela, imaginez les américains, qui se sentent chez eux sans avoir besoin du reste du monde. Pour l’américain moyen, « le monde, c’est nous »…
Il est donc temps de songer à la paix
Le prix du sang a été versé, des dégâts déjà colossaux pour les deux camps, des centaines de milliers de morts, des jeunes gens, la Russie a brûlé 30 ans de travail du peuple russe dans cette guerre absurde. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est avéré être un grand chef de guerre est un excellent chef d’Etat en guerre, déterminé et courageux. Il a été le Churchill de l’Ukraine et tout comme ce dernier, il doit passer la main. Les élections ont été reportées, comme il est de coutume en temps de guerre pour ne pas perturber le cours des choses plus qu’elles ne le sont déjà. Zelensky est fortement opposé à renoncer au Donbass et à la Crimée, ce qui est une attitude de blocage, tout comme Churchill au sortir de la Seconde guerre mondiale, qui voulait faire rendre gorge aux allemands. De plus il est évidemment inenvisageable de mettre Poutine et Zelensky en face-à-face, ils ne pourront jamais se parler. Il est donc temps de le remplacer, avec un personnage pour la paix, qui acceptera que l’Ukraine renonce au Donbass et laisse la Crimée aux russes. En échange, pour l’Ukraine, d’une promesse d’un développement économique très rapide, débouchant à son entrée dans l’UE. Un développement qu’elle n’aurait jamais connu dans son ancienne économie. Le Donbass est la région industrielle de l’Ukraine, mais c’est une industrie de l’ère soviétique, sans valeur ajoutée. Des fonderies, des mines de charbon, c’est archaïque et donc sans valeur ajoutée. L’Ukraine y tient uniquement parce que cette région représente une part significative de son PIB, qu’il faut évidemment remplacer par une industrie moderne. La Russie a besoin de cette région pour sa géostratégie, l’Ukraine a besoin d’un nouveau plan de développement économique en remplacement de cette région. La Crimée, économiquement, ne représente rien, c’est juste un lieu de villégiature sympa. Vous me direz, le tourisme, ça rapporte si on le développe. C’est surtout vexatoire pour l’Ukraine de la perdre, mais peut-être serait-il possible de lui trouver un statut spécial ?
Au fil de cette guerre, en fait menée contre l’Occident, dont Vladimir Poutine est le seul responsable, il n’y en n’a pas d’autre, c’est un caprice viriliste d’un avide de pouvoir, il n’a eu de cesse de se chercher des alliés pour le soutenir. Dans les BRICS on n’est pas dupe des manigances de l’OTAN à l’Est envers la Russie et pour cette raison on peut dire que tous les membres et bien au-delà, en Afrique en particulier ou il passe littéralement pour un dieu vivant, l’ont non pas soutenu mais pas condamné. La Chine n’était pas chaude, mais dans sa posture habituelle de non ingérence, elle s’est bornée à constater et ne pas condamner, elle qui attend de toute façon l’affaiblissement de la Russie pour prendre économiquement la Sibérie. Ce qui est déjà chose faite, on se souvient de la poignée de main entre Poutine et Xi Jinping. Poutine a été contraint de se soumettre à un faux ami pour ne pas subir un vrai ennemi. De fait, les chinois sont déjà largement présents dans tout l’Est de la Sibérie, Vladivostok est quasiment une ville chinoise. Poutine a souvent argué de ces soutiens qui ne font que ne pas condamner mais ne sont fondamentalement pas pour la guerre même s’ils n’aiment pas les manigances occidentales. Il est donc important de lui montrer qu’en réalité il est plus isolé qu’il ne pense, lui qui n’a trouvé de véritable soutien qu’en Biélorussie, où le sort du président est lié à celui de la Russie, en Iran, sur la sellette internationale depuis des décennies, et en Corée du Nord. En matière de soutien, on a eu fait quand même beaucoup mieux. Voilà pourquoi est organisé en Suisse un sommet mondial pour la paix où tous les pays sont invités, sauf la Russie. On y attend au moins 80 pays, potentiellement 100, avec probablement la présence de Joe Biden. Au moment de l’écriture de l’article la présence chinoise était officiellement incertaine, mais il était évident qu’elle ne manquerait pas cette occasion et a depuis confirmé sa présence. En parallèle il est question d’expulser la Russie du Conseil de Sécurité de l’ONU où elle est membre permanent avec un droit de veto, une position partagée par seulement 5 membres. Poutine va se sentir isolé, sachant que vraisemblablement tous ses partenaires des BRICS seront présents, validant de facto leur soutien à la paix. Si on ajoute le fait que sa guerre a précipité des nouveaux membres dans l’OTAN et vers l’UE, s’il est véritablement un chef d’Etat, il ne peut pas laisser pourrir la situation plus que ça jusqu’à sacrifier les prérogatives internationales de son pays. Et s’il obtient compensation, on peut parier qu’alors il sera enclin à écouter ses amis et acceptera ce qu’on lui offrira pour la paix.