Le tout nucléaire est une idéologie, le nucléaire est nécessaire, mais pas au point d’en faire une fixation déterministe qui risquerait de compromettre le déploiement des renouvelables. Utile dans la transition et nous sommes censés le multiplier par 5 d’ici 2050, ce qui le ferait atteindre environ 10 % du mix mondial, mais il y a de moins en moins de chances pour que nous y parvenions tant son déploiement est contraignant. Parce que les renouvelables sont de moins en moins chères et se déploient de plus en plus vite avec des conditions de financement beaucoup plus intéressantes.
Le nucléaire n’intéresse pas les investisseurs
Ce sont donc les Etats qui doivent mettre la main à la poche. En France Macron veut utiliser l’argent de l’épargne sur le Livret A, tellement c’est cher et que ça n’intéresse pas les financeurs qui préfèrent les énergies renouvelables qui ne nécessitent pas d’attendre 10 ou 15 ans pour avoir les premières retombées, dautant que la construction du nucléaire coûte systématiquement bien plus cher que son devis. En réalité le nucléaire est de loin l’énergie la plus chère qui existe et les pays émergents ont en général l’avantage de disposer d’espace pour installer des centrales solaires ou des éoliennes, qui coûtent bien moins cher, il n’y a strictement aucune raison pour qu’ils investissent dans du nucléaire plus cher et infiniment plus complexe. Quand on entend que tel ou tel pays s’intéresse au nucléaire, c’est sûr, sa complexité le rend prestigieux. Mais son coût est rédhibitoire et de l’installer ne résulte pas d’un simple choix. Il faut créer des filières de formation très poussées pour former des techniciens, des ingénieurs, des scientifiques, il faut des infrastructures de liaison performantes, même pour des SMR, qui même s’ils sont moins complexes que des EPR, ce n’est pas pour autant une énergie aussi accessible que les renouvelables. Alors que les ENR se déploient très vite, avec très peu de conditions. Le nucléaire implique des conditions de construction et de maintenance drastiques, pour être sûr. Une éolienne, si elle est mal implantée, au pire elle tombe. créer des parcs de production d’énergie est accessible dès aujourd’hui pour les émergents, qui peuvent même trouver pour pas cher des éoliennes et panneaux solaires d’occasion mais loin d’être échus, encore à la moitié de leur espérance de vie.
La France investit massivement dans le nucléaire
En agissant elle prend le risque de sacrifier ce qui lui reste de richesse en loupant le coche du renouvelable sur lequel elle avait de l’avance, comme elle a loupé le coche de l’informatique dans les années 70 sur laquelle elle avait pourtant de l’avance, puis le coche d’internet dans les années 90, sur lequel elle avait pourtant de l’avance, le coche de la révolution numérique en 2000 sur laquelle elle avait pourtant de l’avance, puis le coche de la robotique, sur laquelle elle avait pourtant de l’avance, maintenant le coche de l’IA, sur laquelle elle avait pourtant de l’avance. Le choix du tout-nucléaire il y a 55 ans était déjà une erreur qui a coûté des tombereaux de milliards, nécessité des manigances géopolitiques et géostratégiques, il a fallu fomenter des révolutions, produire des interventions militaires, des centaines de milliers de gens sont morts de l’extraction de l’uranium et en meurent encore et là elle persiste ? En 2050 elle se retrouvera bien seule avec son énergie la plus chère du monde en ayant aggravé son retard déjà considérable dans le déploiement des renouvelables, consenti pour préserver le nucléaire, alors qu’elle aurait la capacité d’alimenter toute l’Europe si elle s’en donnait les moyens. Faire le choix d’aller vers le nucléaire était en soi évidemment une bonne idée, une énergie puissante, peu carbonée, de très haute technicité, ça ne pouvait être que pertinent économiquement et stratégiquement. L’erreur a été d’en faire l’énergie principale, quasi unique avec les barrages, le nucléaire et l’hydroélectricité représentaient alors quasiment 95 % de l’électricité.
Le nucléaire suscite l’idéologie et l’exaltation, il produit le même « effet wouah » que dans les années 60 quand la France avait le choix entre les renouvelables et le nucléaire. Elle maîtrisait les deux, mais le nucléaire, c’était quand même plus sérieux, plus fun, et en plus ça permettait le développement de l’arme atomique pour la faire accéder au rang des superpuissances et aujourd’hui il produit le même effet : c’est quand même plus sérieux. Les renouvelables c’est de l’intelligence et de la raison, le consensus scientifique mondial est clair à leur sujet, mais des éoliennes et des panneaux solaires, ça fait quand même plus jouet que le nucléaire dont rien que le terme est déjà puissant. Dame, c’est de la Science, on parle d’atome, c’est pas rien quand même.
Il n’empêche, il est très cher et malgré sa densité pour répondre aux besoins énergétiques, il faudrait des milliers de réacteurs de la puissance d’un EPR2 partout sur le monde. On peine à en financer une centaine, et il en faudrait 2000 pour répondre aux plans de l’AIE ou du GIEC, déjà c’est compliqué à ce stade, s’il en fallait 5000…. C’est pour ça que le consensus scientifique mondial est que le nucléaire n’a pas la capacité de répondre aux besoins énergétiques de l’humanité dans l’avenir et que seules les renouvelables ont la capacité non seulement de répondre aux besoins, tant elles sont plus fiables, moins chères et leur potentiel infiniment supérieur. Mais cette admiration du nucléaire repose sur l’exaltation que sa complexité palpable induit, comme dans un logement où l’électricien est perçu comme n’ayant rien foutu alors que le maçon qui a construit un mur est perçu comme ayant travaillé comme un damné. C’est juste que l’installation électrique est invisible, elle est DANS le mur, alors que le mur on le voit, on le touche. Le nucléaire c’est pareil, tandis que les renouvelables, bôf, une éolienne, c’est juste un « moulin à vent », c’est dire si on peine à imaginer la science de pointe, la haute technicité qu’il y a derrière. Un panneau solaire, c’est pareil, c’est carré, c’est plat, c’est noir, bon, ça produit un peu de courant, mais on ne voit pas la science, elle n’est pas palpable. Et comme la vision ne porte pas encore sur le solaire spatial, ou les réseaux satellitaires de transport de l’électricité sans fil, le nucléaire passe encore pour futuriste et les renouvelables passéistes, alors que c’est exactement le contraire. Le futur se trouve dans les matériaux des ENR, dans l’espace où les ENR non seulement produiront de l’énergie abondamment mais en plus en faisant de l’ombre sur la partie inhabitable de la Terre en raison du réchauffement, contribuant à son inversion.
Le grand intérêt du nucléaire est d’être moins pire que le charbon et même le gaz
Et donc son rôle est d’accompagner le déploiement des renouvelables, parce que d’aller directement au 100 % renouvelable induirait des contraintes sociales difficilement supportables. La transition induisant déjà des résistances à tous les niveaux, il vaut mieux s’épargner celles qu’il est possible. Il va nous aider à nous débarrasser du charbon, nous, les économies développées, qui ont les moyens de se l’offrir, pas dans les émergents pour qui les renouvelables sont bien plus abordables et accessibles. Quand ce sera fait, vers 2055, 2060 au plus en Chine, on se débarrassera du gaz naturel, vers 2070. A ce moment-là on se débarrassera du nucléaire qui finira par ne plus représenter qu’au mieux 5 % de l’énergie en 2100, uniquement dans des usages spécifiques, comme sur les sous-marins, parce que si les navires de surface pourront, comme les véhicules volants, se connecter au réseau satellitaire pour obtenir leur énergie comme aujourd’hui on se connecte à internet ou pour recevoir la télévision, pour un sous-marin, c’est évidemment impossible en plongée. Et donc si l’utilité du nucléaire ne s’éteindra jamais, elle va inéluctablement s’amoindrir au fil de ce siècle. Et ce peu importe la technologie, qu’il s’agisse de fission ou de fusion, d’EPR ou de SMR. Il faut toutefois évidemment perpétuer le nucléaire, de façon à développer la maîtrise de l’atome, pour les siècles à venir. L’énergie du 20e siècle ce fut le pétrole, le gaz, le charbon, l’hydraulique et le nucléaire, l’énergie du 21e siècle sera les énergies renouvelables, celle du 22e…
Il y a un autre problème, même en imaginant qu’on parvienne à construire les 14 EPR prévus pour reconstituer la filière nucléaire française, sachant que 21 réacteurs ont 40 ans et plus, ça signifie qu’en 2050 la moitié du parc nucléaire historique sera arrêtée et donc que le nucléaire ne représentera pas plus de 35 % de notre mix. Et ça alors qu’il n’est déjà pas certain que EDF parvienne à construire les 6 premiers de la première étape du scénario N03 de RTE. Si ces 6 réacteurs ne sont pas construits en 2040, il ne servira plus à rien d’entamer la seconde partie, les ENR ayant tellement progressé technologiquement et la transition énergétique étant tellement avancée que ce sera devenu inutile. Le nucléaire ne représenterait alors que 20 % de notre mix dans ce cas, ce qui signifie que les ENR devraient représenter 65 % du mix dans le premier cas et 80 % dans le second, ce qui implique que dans tous les cas l’énergie dominante en 2050, quels que soient les efforts consentis pour relancer le nucléaire, seront des renouvelables obligatoirement. Après, j’ai un peu tendance à comprendre Macron, qui se retrouve confronté à la nécessité de compenser l’attrition de la production d’énergie d’ici 2050, parce que la France, avec le retard prit dans les ENR, va en manquer. Il se retrouve donc contraint de faire feu de tout bois : développer au max les énergies renouvelables, en développant au max le nucléaire, en prolongeant la vie au max des centrales existantes. Il n’y a pas le choix. Aujourd’hui, même avec la meilleure volonté du monde, il ne serait pas possible de déployer plus vite les renouvelables, dont l’industrie est en surchauffe. Leur fabrication et leur implantation ont beau être rapides, on ne peut pas aller plus vite que la musique. Et vu leur rythme de déploiement, la filière se développe exponentiellement, mais de plus en plus de pays en installent de plus en plus et donc cette industrie est saturée. L’avantage du nucléaire c’est sa densité. Quand on a construit un EPR, on produit 1,5 GWh, un SMR peut produire 500 MWh. Ca nécessite des efforts colossaux en amont, ça prend des années et des années pour en disposer, mais quand ça démarre, c’est une bouffée d’oxygène.