La méritocratie : mythe ou réalité ?

Dans notre société occidentale actuelle, on évoque souvent la méritocratie comme un système permettant à tout un chacun de pouvoir s’élever simplement par la bonne volonté et le goût de l’effort de chacun. Autrement dit, plus on travaille dur, plus on a des chances de se sortir de sa situation précaire, pour s’élever et ainsi ne pas avoir besoin de l’aide de l’État pour assurer sa vie. Ce serait pour les partisans de ce mode de fonctionnement un moyen de motiver les individus à y mettre du leur pour contribuer à la société car avec trop d’aides sociales, ils deviendraient oisifs et irresponsables. Ce qui finirait par coûter cher à l’État, qui pourrait utiliser ces mêmes ressources pour investir ailleurs ou simplement générer des économies dans son budget de fonctionnement.

Sauf que ce mode de pensée est biaisé. En effet, la société est plus complexe que cela. Ce qui fait que les individus ne peuvent s’élever, ce n’est pas un manque de bonne volonté, mais bien la capacité individuelle de chacun à s’en sortir. Si certains sont en mesure de s’en sortir avec peu de moyen, ce grâce à leur sens de l’autonomie, ce n’est pas le cas de la majorité. De plus, pour pouvoir s’élever, il faut que la société ait quelque chose à offrir aux individus pour qu’ils puissent l’exploiter. Autrement dit, si une personne a pour projet de créer une entreprise dans un secteur donné, il faut des débouchés commerciaux pour ce qu’il veut vendre. Or, s’il n’y a pas de marché, c’est-à-dire des clients disposant de moyens financiers pour acheter ce même produit ou service, qu’importe ce que l’individu veut créer, il ne pourra pas s’élever. C’est principalement pour cette raison que laisser des individus sur le bord de la route, sous prétexte qu’ils ne soient pas assez forts et autonomes pour mettre en œuvre leur capacité à s’élever dans la société, n’est pas viable non seulement d’un point de vue économique, mais aussi d’un point de vue sociétal. 

Une capacité individuelle d’élévation conditionnée au statut social de départ

Il faut savoir que tout le monde n’a pas la capacité de s’élever. De nombreuses professions conférant certaines responsabilités, nécessitent un certain niveau de cognition pour se former à les exercer. C’est notamment le cas de la médecine, du droit ou encore de l’expertise comptable, entre autres domaines de profession. Des domaines qui requièrent l’assimilation de nombreux concepts techniques et complexes. Or, il faut disposer d’un certain niveau de cognition pour pouvoir assimiler tous ces concepts, pour ensuite les appliquer sur le terrain une fois formé. Ce qui n’est pas le cas d’une majorité de personne.

De plus, si les individus sont réduits à la misère, ils n’ont aucune possibilité de s’élever, du fait que cette situation ne leur laisse qu’une faible marge de manœuvre. Si la pauvreté est le moteur de l’ambition, la misère, tant d’un point de vue financier qu’intellectuel, est un véritable frein pour quiconque. En effet, lorsqu’on ne sait ni lire, ni écrire, il est impossible de s’informer au sujet du monde qui nous entoure. Sans compter sur le fait de ne disposer d’aucun capital de départ, qui ne permet pas de disposer de moyens pour le financement d’un projet quelconque. Tout ces facteurs sont de véritables obstacles à l’élévation. Notamment du fait qu’ils constituent le minimum requis pour initier des projets, tout comme pour l’obtention d’une formation permettant l’accès à des professions requérant un haut niveau de qualification.

Dans ces conditions, seule une minorité, riche et instruite, a la possibilité de s’élever. Ce qui accroît au passage les inégalités avec d’un côté des individus ayant les moyens, et donc la liberté de s’élever. De l’autre, une population réduite à une misère, les empêchant de s’élever. Ce qui rend cette même population misérable dépendante du bon vouloir des classes supérieures qui proposent leur aide à conditions qu’elle accepte des conditions drastiques.

C’est dans ce contexte que le paternalisme a vu le jour dès la fin du XIXème siècle. Les ouvriers étaient si miséreux qu’ils n’avaient pas d’autres choix que d’accepter les conditions de vie ou encore de travail que leur offrait leur patron, sans quoi ils pouvaient potentiellement perdre tous ces avantages octroyés. En bref, ils n’avaient pas d’autres choix que d’accepter de s’enfermer dans cette prison dorée qu’était le régime paternaliste, où en échange d’être pris en charge par leur patron, ils devaient accepter de travailler dans des conditions précaires.

Ce qui a vraiment contribué à élever le niveau de vie des individus, ce sont les nombreuses réformes sociales amorcées dès le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. C’est en augmentant les salaires et en proposant des avantages sociaux que les ouvriers ont pu obtenir un pouvoir d’achat. Ce qui a engrangé des marchés supplémentaires, qui ont permis à certains issus de la diversité de s’enrichir. Ainsi, le niveau de vie de la population s’est élevé à un niveau jusque-là jamais atteint de toute l’histoire de l’humanité.

La capacité d’élévation d’un individu dépend du reste de la société

Si tout le monde ne dispose pas d’une capacité individuelle de s’élever, ce qui permet en réalité à n’importe quel individu de s’élever, pour peu qu’il en dispose des capacités, c’est l’ensemble de la société. Il suffit de se remémorer les dires de Thomas Paine, issus de son œuvre « Justice agraire ». Il dit la chose suivante : « Séparez un individu de la société et donnez-lui une île ou un continent à posséder, il ne pourra pas acquérir de biens personnels. Il ne pourra pas être riche. Donc, inséparablement sont les moyens liés à la fin, dans tous les cas, que lorsque l’ancien n’existe pas, ce dernier ne peut pas être obtenu. L’accumulation, par conséquent, de biens personnels, au-delà de ce que les mains d’un homme produisent, est dérivée pour lui en vivant dans la société ; et il doit à tous les principes de la justice, de la gratitude et de la civilisation, une partie de cette accumulation en retour à la société d’où l’ensemble est issu. ». Autrement dit, un individu ayant la capacité de mettre à disposition de la société ses talents ne pourra pas s’élever si personne n’achète les biens ou les services produits par le génie de ce même individu.

On justifie souvent la position élevée de certaines personnes dans la société, du fait qu’elles investissent leurs capitaux dans l’économie réelle, sans quoi aucun projet ne pourrait voir le jour, risquant alors de compromettre le développement économique d’un pays. Sauf que ce précepte n’est qu’en partie vrai. En effet, s’il faut du capital pour investir dans un projet donné, il faut en revanche un marché pour que ce même projet ait une quelconque raison d’exister, sans quoi il n’y aurait pas d’éventuel retour sur investissement. Ce qui fait que les véritables pourvoyeurs de richesse, ce ne sont pas les initiateurs de projet, mais leurs clients. Sans clients qui achètent leurs produits ou leurs services, les porteurs de projet n’auront aucune chance de succès. Ce qui fait que pour de potentiels investisseurs, cela n’aurait aucun intérêt que d’apporter du capital du fait que les porteurs de projets n’auront pas de clients pour acquérir les biens ou les services produits. Comme le mentionne Thierry Curty dans son article, on peut tout à fait envisager une entreprise sans patron et même sans salariés, mais on ne peut envisager une entreprise sans clients.

C’est pour cette raison qu’il est important que les entreprises payent des taxes et accordent des avantages sociaux à la population d’une société. Ce pour ainsi donner les moyens à leurs clients potentiels de consommer ce qu’elles produisent.  Le commerce, à l’instar de la guerre ou de l’amour, c’est un jeu qui ne peut se jouer qu’à deux. De plus, il faut avoir à l’esprit que la propriété privée de l’outil de production n’est ni un dû, ni un droit, mais une tolérance de la société qui permet aux meilleurs de mettre leurs talents à disposition des autres, en échange de contribuer à élever l’ensemble, sans quoi, comme mentionné précédemment, leur chance de succès serait nul.

Une politique méritocratique non salutaire pour le fonctionnement de l’économie

Le fait de laisser des individus sur le bord de la route, sous prétexte qu’ils méritent leur sort du fait qu’ils ne parviennent pas à s’élever, n’est en rien bénéfique pour l’économie. En effet, lorsqu’on est misérable, on ne dispose pas d’un pouvoir d’achat, ce qui empêche toute contribution. Ce qui, à terme, pourrait potentiellement impacter négativement les échanges commerciaux et donc la capacité d’un pays à créer de la richesse. Il suffit de se fier aux dire de Milton Friedman, qui disait qu’une société qui laisse des individus à l’abandon ne peut fonctionner correctement, pour le confirmer.

De plus, comme mentionné précédemment, c’est le pouvoir d’achat des clients qui fait en sorte que les entreprises engrangent des bénéfices. Bénéfices au passage taxés par l’État pour que celui-ci ait la capacité d’assurer ses devoirs régaliens. Si les politiques vantent les économies que réaliserait un État à ne plus s’occuper des plus faibles parmi la population toute entière, tout en encourageant une certaine forme de responsabilité pour les individus, il s’avère que cette politique est plus coûteuse qu’elle ne rapporte. En effet, des individus laissés pour compte, ce sont des clients en moins pour les commerces. Ce sont donc des bénéfices en moins pour eux, et par conséquents des salaires et des dividendes en moins pour les salariés et les actionnaires. Sans compter sur un risque accrut de faillite du fait qu’il faille régulièrement emprunter pour compenser les pertes. Donc à terme des licenciements qui vont accroître le nombre de laissés pour compte. De plus, des entreprises qui font moins de bénéfices, ce sont des recettes fiscales en moins pour l’État. En effet, moins de bénéfices, c’est moins d’impôts sur ces mêmes bénéfices. C’est également moins de TVA, une taxe qui représente au moins la moitié des recettes fiscales. Bref, l’ensemble de la société a tout à y perdre d’une telle politique se contentant de ne valoriser que les plus méritants, au détriment des plus faibles.

La fin du travail rend caduque ce principe de mérite par le travail acharné

Certaines personnes affirment que la méritocratie responsabiliserait des individus récalcitrants à l’idée d’accepter n’importe quel emploi à n’importe quelle condition. En effet, certains avancent que les individus sont devenus de plus en plus irresponsables, ce qui les rendraient moins enclins à accepter des sacrifices pour sauver l’économie en proie à une crise. Ces affirmations sont absurdes, d’une part parce que l’homme n’est pas oisif par nature, de l’autre, si nous connaissons depuis quelques décennies des problèmes de chômage, c’est uniquement du fait que les entreprises ont de moins en moins besoin de main d’œuvre pour produire les biens et les services. Ce grâce à l’automatisation de nombreuses tâches auparavant réalisées par des humains.

De ce fait, on renforce la précarité des individus en appliquant une politique visant à maintenir à tout prix l’emploi, bien qu’il ait de moins en moins d’utilité pour produire les biens et les services. C’est dans cette optique que les gouvernement subventionnement massivement les vieilles industries dans le but que, malgré leur faible rentabilité, elles maintiennent les emplois. Le problème, c’est que malgré ces politiques de subventionnement systématique des vieilles industries, il ne se créent pas autant d’emplois et les emplois restants sont de mauvaises qualités et donc largement sous-rémunérés. Du fait que notre société soit toujours paramétrée pour fonctionner autour du travail, ceux qui ne peuvent plus travailler, faute de place et de compétences nécessaires pour occuper les nouveaux emplois que va créer le secteur de l’intelligence artificielle, se retrouvent en situation de précarité. Ce qui les oblige à accepter des emplois sous rémunérés et précaires. Ce qui de fait les contraints à rester dans cette situation délicate d’un point de vue financier, étant donné que la société ne leur donne pas les moyens de s’en sortir. En effet, non seulement les emplois précaires ne permettent pas de gagner suffisamment d’argent, mais ils sont très chronophages. Ce qui est un frein pour quiconque ayant la volonté de s’extraire de sa condition. Pour ne rien arranger, cette politique de subventionnement systématique des entreprises a eu pour effet de déresponsabiliser les riches dans leur rôle de financier de l’économie réelle. Ce qui fait que pour un potentiel porteur de projet, il ne pourra pas le réaliser faute de moyens et de capitaux. C’est comme cela que l’ascenseur social est bloqué depuis quelques décennies. Ce qui a pour effet d’accroître les inégalités dans la société.

Bref, l’élévation d’un individu disposant d’un certain talent à mettre à la disposition de la société n’est pas de son seul fait, mais bien de l’ensemble de la société. Sans quoi, il ne serait possible pour personne de s’élever.

La seule solution pour permettre à tout un chacun de s’élever, c’est la Transition Sociétale

La seule solution pour que chacun ait sa chance pour s’en sortir, c’est de faire la Transition Sociétale. Si l’intelligence artificielle va créer des emplois nécessitant un haut niveau de qualification, offrant ainsi de hauts niveaux de rémunération, il n’y en aurait pas pour tout le monde et tout le monde n’aura pas la capacité cognitive de se former pour les occuper. C’est pour cela qu’il faut mettre en place un environnement collaboratif pour aider les individus à gagner leur vie en créant leur propre activité.

Ce en mettant en place une politique visant à ce que tout un chacun touche le minimum qui lui est dû, du fait qu’à l’heure actuelle, tout le monde participe à l’économie réelle de par son pouvoir d’achat. De plus, il faut faire en sorte que les capitaux circulent en incitant fiscalement les riches à réinvestir massivement dans l’économie réelle. Enfin, il faut une plateforme de financement participatif fédérant l’ensemble des acteurs économiques, en mettant en relation les financiers, aussi bien les riches que les individus issus de la diversité, et les porteurs de projets qui auront besoin de capitaux pour se financer.

1 Comments

Buttel Bernard

Certes,
Ne nous payons pas de mots. Moi, qui suis un pur autodidacte qui s’est élevé un peu .
La première chose dont j ai souffert c’est le manque de formation permanente tout au long de la vie. Une sorte d’universités de tous les savoirs accessibles à tous avec maintien du salaire voire une prime qui validerais l acquisition de connaissances.
Ce que j’ai retenu , je suis à la retraite, ce n’est pas la valeur professionnelle qui motive votre éventuelle promotion mais votre niveau de culture générale. C’est vérifiable à tous les niveaux.
Avant on sélectionnait sur la bosse des maths, la sélection la plus juste pour les études scientifiques poussées, maintenant on y ajoute la culture G la maitrise parfaite de l’anglais deux marqueurs imposés par les chers parents d’élèves.
Un Matheux d’origine modeste est cantonné à l’IUT, j’en connais.

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