…Pas plus que les agriculteurs ne sont prisonniers de qui que ce soit !
Je débunke depuis longemps les âneries qu’on lit partout sur les semences, soi-disant propriété des grands groupes, contraignant les professionnels à ne cultiver que ce que veulent les grands groupes, comme Monsanto, Syngenta et consorts.
Autant le dire d’emblée, c’est non seulement du très grand n’importe quoi, mais c’est exactement le contraire.
Un beau cadeau du GNIS, le vilain qui protège les méchants industriels
Le GNIS m’a fait un beau cadeau : le Tome 2, « semences potagères », relié du catalogue officiel français de semences, en remerciement pour mon action dans le rétablissement de la vérité sur ce qu’on peut lire sur les semences qui seraient, soi-disant, contrôlées par les grands semenciers qui voudraient s’accaparer la semence mondiale.
C’est un beau cadeau, 38€ quand même le machin… presque un pot-de-vin d’un viticulteur de la FNSEA.
L’hybridation et le croisement
Le fait que la semence soit F1 ne signifie pas qu’elle soit issue de l’industrie. Des tas d’obtenteurs sont des petits producteurs, même s’il est vrai qu’ils sont majoritaires et que dans le cas de la grande culture, ce sont essentiellement des industriels pour diverses raisons (mais ils sont plusieurs centaines de petits semenciers ou même d’agriculteurs à avoir leur propre COV dans la grande culture, dont certaines variétés sont F1 et des milliers dans la culture potagère).
Le fait que la variété soit F1 signifie qu’elle est hybride (par opposition au croisement sélectif), pas qu’elle est stérile. De même que ce n’est pas parce qu’une sélection n’est pas F1 qu’elle n’est pas stérile. F1 n’est qu’une technique d’hybridation de premier rang et signifie simplement, pour le paysan, que seule la première production obtenue donnera le résultat escompté, après, il y a de bonnes chances que les caractéristiques régresseront (mais ce n’est pas systématique, certaines F1 sont connues pour être plus stables que d’autres et pouvoir être recultivées avant de dégénérer).
Néanmoins, les semences F1 sont produites par des paysans, en plein champ, évidemment, c’est pas que ça provient d’un obscur labo. Autour de chez moi ils sont un certain nombre à vivre de ça et chaque année il y a des tas de gens qui vont castrer le maïs. On fait ça comme on fait les vendanges. A noter que ce n’est pas parce qu’on hybride que ça donne une F1, je le redis, ça peut donner une F1… ou pas. Il ne faut donc pas parler des hybrides comme des F1, mais comme des hybrides F1, qui est un type d’hybrides, il y en a d’autres.
F1 et pesticides, une croyance
Une croyance répandue (sans jeu de mot) instille l’idée que l’utilisation des F1 induit des pesticides. Or c’est faux, ce n’est pas parce qu’on utilise de l’hybride F1 que cela expose particulièrement aux pesticides. Bien au contraire, c’est la meilleure méthode pour produire des variétés résistantes sans recourir aux OGM. Par ailleurs, les F1 ont un autre avantage, productif.
Et même dans le cas d’une agriculture industrielle, polluante, l’utilisation des pesticides ne se mesure pas à la surface, mais à la production. Sur une surface donnée, que vous ayez peu ou beaucoup de production, la pollution est la même, alors, tant qu’à faire, autant que la pollution serve à produire plus.
Le mythe du paysan esclave du système
Ce n’est pas parce que les semences sont F1 que les paysans sont prisonniers du système, ils achètent ces semences parce qu’elles sont plus productives. Mais s’ils en achètent d’autres, elles sont également protégées. Si le paysan veut pouvoir réutiliser sa propre semence, il lui faut donc, en principe, acheter de la semence open source (mais oui, ça existe) ou créer sa propre variété, ce qui est rendu possible grâce au système de « COV », la fameuse inscription au catalogue des espèces réglementées qui délivre le « Certificat d’Obtention Végétale ».
Si les paysans préfèrent racheter la semence chaque année, c’est parce qu’elle ne représente pas grand-chose sur le chiffre d’affaires de l’exploitation et que le résultat est quand même bien mieux garanti. Par ailleurs, la situation française est en plus particulière, parce que nous avons la chance d’avoir eu des députés qui ont mis en place la taxe sur la récolte qui permet au cultivateur de ressemer sa propre semence d’une année sur l’autre. Ainsi, tout producteur au-dessus de 100T paie une taxe forfaitaire de 50 centimes par tonne (à mettre en relation avec le prix du produit, par exemple le maîs, dont le cours actuel tourne autour des 170€/tonne, la taxe représente donc 0.25%).
L’agriculture ancestrale, une histoire ancienne
La fin de « l’agriculture ancestrale » ne date pas d’hier et n’a strictement rien à voir avec la semence F1. Je le redis, il existe des hybrides F1 stériles, des hybrides F1 non stériles, des hybrides non F1 stériles, des hybrides non F1 fertiles et ça de petits comme de gros obtenteurs.
En réalité, l’agriculture industrielle, le modèle que nous connaissons aujourd’hui, à commencé au XVIIIème siècle. La technique F1 date du XXème siècle, mais il faut savoir qu’il n’existe aucune plante que nous consommons qui existait il y a seulement 200 ans en arrière. Même les variétés, de fruits, de céréales, de légumes, qui ont été hybridées depuis des millénaires, ne ressemblent plus à ce qu’elles étaient il y a 200 ans. Et, grâce à cette évolution, l’Homme est parvenu petit-à-petit à maîtriser ses cultures, jusqu’à l’apothéose au XXème siècle où sur un siècle la productivité a été multipliée par six.
La différence fondamentale entre le croisement et l’hybridation c’est que le croisement peut mener à une nouvelle variété stable par sélection alors que l’hybride est généralement instable. C’est-à-dire qu’on croise le résultat de croisements en sélectionnant les plantes qui ont les meilleures caractéristiques pour parvenir au fil des générations à faire émerger une variété.
…Et je rappelle qu’une génération, pour des plantes, c’est une année. Certaines variétés sont la résultante de plusieurs siècles voir millénaires de sélection et de croisement, comme c’est le cas pour le blé qui est la plus ancienne sélection agricole.
L’hybridation, elle, permet de prendre deux variétés et d’en avoir une troisième l’année suivante réunissant les qualités des deux premières. Ca n’interdit pas de sélectionner les meilleures qualités dans la nouvelle production si elle n’est pas stérile pour parvenir à terme à une nouvelle variété stable. L’un n’a donc rien à voir avec l’autre et l’un n’empêche pas l’autre.
En vérité, la technique F1, comme toute hybridation, qui n’est rien d’autre qu’un croisement visant à obtenir une nouvelle variété EST « l’agriculture ancestrale ». Des tas de jardiniers bidouillent des tas de choses dans leurs jardins depuis toujours. Ce qui est nouveau avec cette technique dite « F1 », ce n’est pas l’hybridation, mais la diffusion de la semence. On produit industriellement de l’hybridation annuelle que l’on diffuse industriellement sur toute la planète, alors que jusque-là le jardinier le faisait pour lui, dans son jardin ou le paysan dans son champ.
Le fameux catalogue, un peu d’histoire
Dans ce livre, on trouve donc les semences réglementées inscrites au catalogue par la France. Le catalogue européen, lui, j’ignore s’il est imprimé, j’en doute, vu le nombre d’entrées (plus de 20’000, 45’500 avec les grandes cultures).
On parle là des semences potagères, mais ce que je vais dire est également vrai pour les grandes cultures.
Le catalogue a été créé au début du XXème siècle, sauf erreur en 1907. A ce moment-là, il s’agissait simplement de référencer la semence par caractéristiques pour aider les paysans à choisir la meilleure, histoire de mettre fin aux famines récurrentes que l’Europe connaissait. A l’époque, une année sur 5, la récolte était mauvaise en raison de la pluie. Une année sur 5 la récolte était faible en raison de la sécheresse. Une année sur 5 la récolte était absente en raison des ravageurs. Finalement, soit la récolte était abondante mais de mauvaise qualité, soit elle était de bonne qualité mais faible, soit il n’y avait rien, ce qui fait que seule une année sur 5 était une année “normale”, une année sur 5 était une année de disette et tous les 25 ans il y avait une famine.
Certaines famines ont été plus mémorables que d’autres. La famine d’Irlande, à la moitié du XIXème siècle, est une véritable abomination. 1 million de morts (!!) 2 millions de réfugiés suivis de 4 millions d’exilés jusqu’à la moitié du XXème siècle, soit 100 ans plus tard. Et ce alors que le pays avait déjà connu une grosse famine en 1780, qui avait alors touché tout le continent. Aujourd’hui encore l’Irlande a plus de deux millions d’habitants de moins qu’en 1850.
Alors, comme la terre n’est pas extensible et doit impérativement être nourricière, il fallait améliorer les techniques agricoles et mieux sélectionner les semences. Le fameux catalogue est un de ces composants de la réforme agricole, qui permettait aux paysans de décider de ce qu’ils allaient cultiver en connaissance de cause. De facultatif en 1907, il deviendra obligatoire en 1974 en raison de l’explosion de la démographie et de la mondialisation. De plus en plus de monde à nourrir et des exportations de plus en plus conséquentes, il fallait produire de plus en plus.
Ce faisant, grâce à ces réformes, constituées des nouvelles technologies, nouvelles techniques et d’une meilleure sélection de la semence, la productivité à l’hectare a été multipliée par 5 depuis 1950 plus de six depuis le début du siècle.
La réglementation
Tout d’abord, il faut savoir que seules les espèces réglementées doivent figurer au catalogue pour être commercialisées. Le catalogue recense les espèces nourricières principales. Dans le cas des espèces potagères, une soixantaine d’espèces sont réglementées, environ la moitié moins dans les grandes cultures. Il existe un catalogue national, chaque pays européen a le sien et un catalogue européen, qui recense les catalogues nationaux. Tout ce qui figure dans le catalogue européen peut être cultivé librement partout en Europe, pas seulement le contenu du catalogue de son propre pays et je rappelle qu’il fait quand même 20’000 entrées, 45’500 si on inclut les grandes cultures, les céréales.
Quand on dit « espèce réglementée », ça signifie que la variété au sein de l’espèce doit figurer au catalogue pour être cultivée. La tomate est l’exemple type souvent repris par les populistes qui disent n’importe quoi. La tomate est une espèce réglementée. Ca signifie que si la semence de la variété de l’espèce qu’est la tomate ne figure pas au catalogue, le maraîcher qui la cultive ne pourra pas en commercialiser les fruits (sauf à obtenir le COV, donc).
Il devra donc se contenter des semences figurant au catalogue. Autrement dit, il devra choisir une variété parmi… 3842 !
Oui, le maraîcher peut commercialiser 3842 variétés de tomates. Environ la moitié sont des F1. Mais toutes les F1 ne sont pas des stériles, toutes les hybrides ne sont pas des F1 et celles qui ne sont pas F1 peuvent être stériles ou pas. Et ce n’est pas parce qu’une semence est F1 que c’est du Monsanto et que si elle ne l’est pas c’est un petit semencier. Des petits semenciers ont des semences F1 et des tas de semences de grands groupes ne sont pas des F1. Donc là encore il y a des tas de bêtises qui se racontent.
La réglementation vise simplement à la standardisation et la régularité de la production. Avoir des récoltes aussi abondantes et prévisibles, prédictibles, que possible. Savoir d’une année sur l’autre où l’on va et que la récolte pourra être mêlée à celle des autres sur le marché mondial, qui garantit l’absence de famine, puisque lorsqu’un incident se produit quelque part, compromettant la récolté, la population n’y voit aujourd’hui tout simplement plus rien du tout grâce au marché mondial. Si le marché est national et qu’il y a une crise sur le blé, ben on va manger moins de pain. Si le marché est mondial, le blé étant mélangé à celui du monde entier, ça ne changera rien pour personne, sauf à ce que la crise soit mondiale, ce qui est virtuellement impossible. Jamais la récolte d’une espèce sera compromise sur toute la planète en même temps, ou alors c’est que nous aurons d’autres soucis plus conséquents.
Le cultivateur fait ce qu’il veut…ou presque !
Où ça devient intéressant, c’est qu’au-delà de la soixantaine d’espèces potagères et la trentaine de grandes cultures réglementées, le producteur fait ce qu’il veut, il peut cultiver et commercialiser absolument n’importe quoi. Du moment que l’espèce ne figure pas dans le catalogue, il fait ce qu’il veut ! Et c’est évidemment pareil pour l’agriculteur, ou quelques dizaines d’espèces, les principales, sont réglementées, le blé, l’orge, le maïs, le tournesol, l’avoine, le soja, etc… ce qui signifie que pour cultiver chacune d’elles il devra choisir une semence dans le catalogue. Pour toutes les espèces n’y figurant pas, il cultive absolument ce qu’il veut.
Nous sommes donc loin de la prétendue interdiction de cultiver son jardin dont la rumeur fait courir le bruit.
Une inscription allégée pour les petits
D’autant qu’il faut savoir que l’inscription des semences de « petits » semenciers est fortement facilitée, simplifiée. Certains prétendent que ce n’est pas vrai, que c’est inatteignable. Pourtant, le fait est qu’environ la moitié des obtenteurs (ceux qui détiennent les COV des semences, qui paient pour figurer au catalogue) sont des petits semenciers, beaucoup sont de simples maraîchers qui ont crée leur propre variété de choux ou de tomate.
Ainsi, si vous avez crée votre propre variété de quelque chose, vous pouvez espérer obtenir un COV (Certificat d’Obtention Vegetal) qui vous permettra de commercialiser votre semence, reconnue comme ayant une qualité nourricière suffisante (et non pas comme étant une semence de propriété génétique de Monsanto) grâce à une bonne stabilité dans la production permettant des projections crédibles.
Si un maraîcher vient vous dire qu’il est obligé de cultiver telle ou telle tomate, F1, parce que Monsanto-Syngenta contrôle l’alimentaire mondial, vous pourrez lui dire en face qu’il est soit juste de mauvaise foi, soit idiot. Il lui suffirait d’aller acheter par exemple ses semences sur La Ferme de Sainte-Marthe, un petit semencier où l’on voit la vraie réalité du choix, mais il y en a d’autres.
Et pour les autres, c’est libre
Pour le jardinier amateur, là, c’est encore plus simple, il fait ce qu’il veut. Dans votre jardin vous pouvez cultiver absolument ce que vous voulez. Et vous êtes libre d’échanger la semence, de donner votre récolte et même de la vendre, tant que ça reste à un niveau amateur, à savoir 250 kg par mois (!!) Franchement, il y a de quoi faire.
C’est ce qui explique que si vous allez manger au restaurant, il est de plus en plus fréquent, avec la montée du végétarisme ou même du végétalisme, voire du véganisme, que l’établissement dispose de son propre potager où il cultive des anciennes variétés de tomates, qui ne figurent plus dans le catalogue ou n’y ont jamais figuré, ses herbes, sa salade, ses patates, etc.. Il achète ses semences chez Kokopelli et cultive pour faire sa popote en salle et c’est tout-à-fait légal.
Par ailleurs, contrairement à ce que prétend l’association sur son blog, ils ont parfaitement le droit de vendre leurs semences, dans la mesure où il s’agit d’une association qui se défraie de la gestion des échanges de semences. Kokopelli cherche à devenir un semencier de semences nourricières anciennes, aujourd’hui réglementées, ce qu’il ne faut évidemment pas, ce serait le retour des famines. Mais de vendre ses semences en petits sachets, qui lui sont fournies par des jardiniers qui ne sont alors plus des clients, mais des membres de l’association qui agissent en partenaires, c’est parfaitement légal. Et si ce sont des semences de variétés d’espèces non réglementées, alors l’association peut faire absolument ce qu’elle veut. Elle peut vendre les quantités qu’elle veut à qui elle veut.