Michel Forst, rapporteur pour les Nations-Unies pour la Convention d’Aarhus a rendu son rapport

Interpellé par une foultitude d’organisations militantes (et évidemment exaspérantes) qualifiées très abusivement « d’écoterroristes » pour justifier de l’usage de la force, après un an d’enquête Michel Forst a rendu son rapport.

Et sa lecture est effrayante quant à l’état de nos démocraties dans une société profondément polarisée et fracturée, aidée en cela par les réseaux sociaux qui en irradiant le poison sélectionné par les membres eux-mêmes en fonction de leurs intérêts, les transformant en militants radicaux. Lire à ce propos le livre récemment sorti de l’exceptionnelle Asma Mhalla « Technopolitique ». Et ce pour tout et n’importe quoi, contre l’immigration, contre l’inactivisme climatique, contre tout un fatras de libertés élémentaires sous prétexte d’une prétendue sécurité qui n’est en réalité qu’une aversion au risque. Tout y passe, la vitesse en voiture, le voile, les armes, les vaccins, le véganisme, et ce dans un militantisme en silo extrêmement poussé dans lequel chacun des adeptes est enfermé. Tous ces gens baignant perpétuellement dans ce bain-là qu’ils ont eux-même fait couler en interagissant ce qui les intéressait amenant le réseau social à leur en proposer de plus, faisant que leur monde n’est plus que ça et donc pensent être éveillés parce qu’ils en voient tellement qu’ils en déduisent qu’en fait la chose sur laquelle porte leur intérêt est très massivement sous-estimée.

Ainsi, quelqu’un qui accepterait d’entendre les propos d’extrême-droite qui prétendent combattre la soi-disant islamisation ou immigration massive, quelqu’un de tout-à-fait commun, n’ayant pas forcément des affinités ou une propension convictionnelle pour le sujet, sans aucune attache à l’extrême-droite et même éventuellement éprouvant à priori de la répulsion, passant son temps à programmer le moteur qui gère son profil en réagissant à tout ce qu’il voit qui l’a attisé se retrouve littéralement submergé de cas de crimes commis par des étrangers, de faits islamistes, de chiffres ahurissants de vagues d’immigration et alors il se retrouve rapidement convaincu que nous sommes en danger, que les gens ne s’en rendent pas compte parce que « les médias mainstream ne le disent pas » et donc que lui est un éveillé grâce à sa patiente quête et alors il devient un militant radical d’extrême-droite. C’est ainsi que les réseaux sociaux forment l’opinion. Les propos ultrapopulistes foisonnant sur le réchauffement climatique, les énergies, souvent erronés quand ce n’est pas tout bonnement n’importe quoi, ce qui marche très bien grâce aux réseaux sociaux, angoissés par l’état de la planète sur laquelle eux ou leurs enfants devront vivre, des foultitudes de militants radicaux agissent en occupant l’espace, en gênant la vie des habitants, abîmant des œuvres d’art, des automobiles, se collant les mains sur la route, occupant des arbres. L’Etat se trouve alors légitime à condamner et faire intervenir brutalement les forces de l’ordre en perdant de vue que c’est les gentils qu’il réprime ce qui oblitère toute perspective de dialogue. Et c’est là que Michel Forst lance un appel à la retenue, avertissant du basculement de nos sociétés démocratiques dans un totalitarisme rampant de plus en plus prégnant.

Mais les choses ne sont évidemment pas si simples. Entre le droit de manifester et le droit de tout bloquer, de tout parasiter, il y a un monde et l’Etat se doit d’intervenir, pour protéger la société. Tout est dans la manière. C’est clair qu’il faut vraiment arrêter la répression systématique des militants du climat. Néanmoins, à un moment donné les forces de l’ordre sont dans leur rôle de libérer les lieux. Des militants qui bloquent un chantier ne manifestent pas, ils ne sont pas démocratiques, ce n’est pas qu’ils s’expriment, ils bloquent parce qu’eux ne sont pas d’accord, Mais ils ne représentent pas l’opinion. Toute la nuance réside dans ce passage en page 7 du rapport :

« s’ils peuvent, par leur nature, perturber dans une certaine mesure la vie ordinaire, les perturbations causées doivent être tolérées, à moins qu’elles ne représentent une charge disproportionnée, auquel cas les autorités doivent être en mesure de justifier toute restriction de façon détaillée »

Et, plus loin :

« on doit pouvoir attendre des entités privées et de la société en général qu’elles acceptent que l’exercice (du droit de réunion pacifique) entraîne des perturbations, DANS UNE CERTAINE MESURE »

Voilà, c’est dit. Et c’est à ça qu’on assiste sur l’A69. Les militants ont manifesté, maintenant ils sont en état de débordement et donc doivent être réprimés évidemment, c’est à ça que servent les forces de l’ordre. Les militants ne sont plus légitimes à ce moment, toutefois ils n’en sont pas pour autant des criminels et ce qu’exprime Michel Forst dans son rapport est tout bonnement terrifiant ! Il doit exister d’autres solutions, il est crucial de s’en donner les moyens et la démocratie est probablement l’une d’elles, parce que je pense que ces militants s’y soumettraient, même si elle va dans le sens contraire de leur action. Ce n’est en tous cas pas de réprimer par la force avec des armes agressives qui va améliorer les choses. Les militants sont fondamentalement bien intentionnés et doivent être respectés comme tels, quel qu’en soit le prix.

Le problème, c’est que les gouvernements s’imaginent protéger l’économie en lui permettant de continuer de fonctionner et donc en réprimant ceux qui la gênent, alors qu’ils ne protègent que des intérêts. Mais c’est dilatoire parce qu’en réalité de protéger l’économie face au changement climatique consiste à l’adapter, la faire évoluer, pas à la perpétuer. La transition écologique est beaucoup plus rentable que l’économie telle qu’elle se trouve dans son fonctionnement destructeur. D’autant que de combattre ceux qui sont fondamentalement bien intentionnés à également un coût matériel considérable en plus d’un coût social par la dégradation constante de la relation de l’Etat avec le peuple, éreintant l’institution qu’il est censé représenter. Mais il est évidemment bien plus facile de combattre avec virulence pour l’écologie en tentant d’imposer ses idées populistes et répliquer par la force brutale que de se mettre à réfléchir pour comprendre. Les militants et le pouvoir se rejoignent sur un point : les deux entités ont compris qu’il y a urgence à réaliser la transition. Et on peut dire qu’ils se rejoignent également sur un second point : les deux entités n’ont aucune idée de ce qu’il faudrait faire, leurs pseudo-solutions sont radicalement opposées et toutes deux avec des conséquences catastrophiques. Alors que la transition écologique n’est pas dans la nuance des positions, c’est une tout autre voie que pour emprunter il faudra parvenir à dépasser ces tensions qui constituent un blocage de la société.

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