Cryptomonnaie : La marchandisation généralisée de la monnaie est en route

J’ai eu échangé sporadiquement avec Pascal Ordonneau –que j’apprécie particulièrement, profondément banquier de son état, économiste progressiste moderne–  depuis des années sur Le Cercle Les Echos (où je ne vais plus depuis que le site a été remanié, je n’aime pas). 

Son article (à lire impérativement) est prégnant, il ne met pas en garde contre le Bitcoin ou le prix de l’or au travers de cette pièce de 1000€ qui le vend à quasiment deux fois sa valeur, mais contre la marchandisation de la monnaie. 

L’échange

Je vous colle directement l’échange bref que j’ai eu avec lui à propos de son article, sur Linkedin :

TC : Bonjour Monsieur Ordonneau, voilà des choses auxquelles je ne m’attendais pas. J’imaginais des tas de choses, mais ça…

…Et certains ont peur de la disparition du cash ? Le mot « évolution » me semble décidément plus approprié. La monnaie, instrument d’égalité par excellence, puisqu’il suffisait d’en avoir pour l’égal de celui qui en avait autant, va elle-même devenir instrument d’inégalité, comme n’importe quel produit, n’importe quel bien de consommation. L’avenir de la croissance, à mon sens, repose sur le capital cognitif, manifestement le système tente d’imposer le capital présomptif. Je prends votre texte pour un avertissement, une alerte.

PO : Cher monsieur, je pense que vous avez raison de prendre ma chronique pour un avertissement. Je prépare d’autres chroniques pour compléter l’expression de cette crainte. Il y a de la madofferie dans l’air et une belle chaîne de Ponzi. Le pire étant que le chantre du bitcoin en France est en train d’organiser une grande manifestation en reprenant les grands poncifs « louis quatorziens » avec Soleil, devise et référence versaillaise…. Ce n’est pas pour rien que j’ai fait référence dans une chronique à Fouquet et à son embastillement. Il faudrait y ajouter Laws et sa faillite, car le processus est le même.

La monnaie produit

Aujourd’hui, la gestion de la monnaie est quelque chose de privé sous tutelle de l’Etat via la banque centrale. Les banques privées émettent la monnaie au travers du crédit principalement (il existe d’autres sources de création monétaire, mais ce n’est pas le propos que d’en faire le tour) selon des conditions discutées entre elles et avec les banques centrales qui veillent à ce que les conditions soient respectées.

La monnaie est déjà une marchandise pour les marchés et c’est même cette marchandisation qui lui donne sa valeur en la comparant aux autres monnaies. Une monnaie « crédible » sur le marché parce que le marché qu’elle représente semble plus dynamique, plus créateur de richesse, a plus de valeur qu’une autre. A échelle de ce marché, la monnaie est donc un produit, comme une paire de pantalons pour un magasin de vêtements ou une baguette pour un boulanger.

La monnaie Monopoly

Le commun des mortels achète sa « dose de monnaie » indispensable au financement de sa vie, de l’épanouissement de lui-même et sa famille, par son travail. Plus il travaille dur… et moins il a de monnaie. A contrario plus son travail est moins pénible mais intellectuel et plus il en achète. Et, tout comme au jeu de Monopoly, lorsque le mortel commun gère bien ses petites affaires, qu’il a un excédent de monnaie, de l’épargne, il lui sera proposé la constitution d’un patrimoine visant à l’accumulation chrématistique de cette monnaie histoire de disposer d’une réserve. Certains ont pour métier d’être « commerçants en monnaie », les traders sur le Forex. D’autres ont la monnaie pour passion et passent leur vie à l’accumuler, c’est leur sport quotidien. L’important n’est pas ce qu’ils gagnent, mais qu’ils en gagnent plus que celui qui est leur challenger.

A la fin de la partie a gagné celui qui a l’argent, a perdu celui qui est en prison et ne prend pas 1000 dollars.

La monnaie marchandise

Mais avec la cryptomonnaie et « la disparition du cash » (en réalité, le cash ne disparaîtra jamais, juste le cash en devise officielle, à la rigueur, mais il sera remplacé par d’autres monnaies, précisément), Pascal Ordonneau avertit de la marchandisation totale de la monnaie.

C’est-à-dire que nous revenons au troc, si tant est qu’il eut existé. Pour obtenir votre pirogue vous devrez d’abord négocier les 12 poissons demandés en prix avec le vendeur de poissons en ne lui donnant que le moins de bois de chauffage possible qu’il exige.

Aujourd’hui vous avez négocié votre monnaie en échange du travail fourni et vous négociez le prix de ce que vous achetez avec cette monnaie. Soit en comparant les prix grâce à la diversité de l’offre sur le marché que représentent les magasins, soit directement lorsque vous achetez votre voiture.

…Là on passe à l’échelon supérieur, vous allez devoir négocier la monnaie qui servira à votre achat que vous négocierez grâce à la monnaie que l’on vous donnera pour votre travail.

L’inégalité absolue

La notion d’égalité est une vue de l’esprit, nul n’est l’égal de personne en rien. Le cantonnier n’est pas l’égal du trader, il lui est supérieur, si on parle de jardiner, le trader il y a de bonnes chances que son jardin ne soit pas terrible, bien que ce soit possible, de même qu’un cantonnier peut très bien être un bon trader, l’exception ne faisant toutefois pas la règle.

…Mais le trader pourra s’offrir un jardinier, pas le cantonnier !!

L’égalité, en soi, n’est donc pas possible, chacun ayant sa propre vie, ses propres passions, ses propres intérêts. Cette notion d’égalité ne visera donc qu’à garantir au mieux que chacun puisse trouver réponse à ses intérêts autant que faire se peut. Donc de manière à le préserver des aléas consécutifs à ses interactions avec les uns ou les autres.

Ce qui risque de se mettre en place et que dénonce Pascal Ordonneau, c’est que soit vous êtes un requin de la finance, soit vous êtes la victime des requins et dans la misère !

Loin d’être la monnaie « démocratique » que certains s’imaginent avec le Bitcoin, bien au contraire, la monnaie, dans l’avenir, pourrait être de plus en plus élitiste.

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