Le 19 avril le Parlement européen a voté l’autorisation pour les agriculteurs bio de revendre leur « semence paysanne ».
Je me réjouis de voir les conséquences… à mon avis, un gain de perspective qui va booster le déploiement de l’agriculture bio dans les prochaines décennies, aujourd’hui réduite à la portion congrue, ce qui est inacceptable.
L’avantage écologique de ces nouvelles règles est évident
Le risque pourrait être que l’on « démondialise » la production. De fait, si jamais il y a un manque de production en Europe en raison du climat ou autre cataclysme, il y aura un manque de nourriture. Finalement, cette décision revient à la situation qui prévalait jusqu’au début du siècle ou une année sur cinq était une année de disette et une sur 25 une année de famine, une sur 100 une année de grande famine qui ravageait la population. Néanmoins, nous ne sommes plus en 1900, les conditions ont changé, nous y reviendrons.
Si on trouve si peu de variétés sur le marché, c’est en raison de la standardisation. Ca permet de mélanger les productions d’où qu’elles viennent. De sorte que si il y a un manque de production en Europe, aux USA ou en Russie, ça ne se remarque nulle part. En relocalisant la production, on s’extrait de ce schéma et donc en cas de manque le risque de famine est bien réel. C’est la raison pour laquelle le catalogue a été introduit en 1907 : pour que les agriculteurs puissent sélectionner les semences qui auront le plus de chance de réussir. Et plus la population s’est développée et plus il fallait augmenter la productivité et plus les règles se sont durcies, jusqu’en 1974 où l’inscription au catalogue était obligatoire pour tout cultivateur ayant un rôle nourricier et cultivant une espèce réglementée.
Des prix reposant sur la stabilité de production
Aujourd’hui le secteur agricole concerné représente la portion congrue de la masse totale. De permettre la reproduction de la semence paysanne ne compromet la stabilité de la production que sur une part suffisamment infime pour que ce soit sans incidence directe sur l’alimentation, pour le moment du moins.
Ce qui va se passer, c’est que comme la revente de semences rend l’activité plus rentable, plus attrayante, ça va stimuler drastiquement le marché du bio, augmentant rapidement son importance. Au fur et à mesure de son déploiement, l’agriculture traditionnelle reculant en proportion, la lutte systémique contre les ravageurs va diminuer et donc leur nombre va augmenter, compromettant de plus en plus les récoltes. La stabilité de la production sera alors de plus en plus compromise et de nouvelles règles et le catalogue s’étendra autour de l’agriculture bio. Ce qui imposera des techniques de culture plus élaborées en compensation.
Positif ça l’est parce que ça va accélérer le déploiement de l’agriculture bio. Ca va la faciliter et également la rendre plus rentable en développant un nouveau secteur économique. Et plus il y a d’agriculture bio et moins il y a d’agriculture traditionnelle.
C’est bien aussi parce que ça ne compromet en rien le développement agricole dans l’avenir. Si dans le passé il se produisait des famines, c’est aussi que les techniques de culture étaient bien plus empiriques, on peut même dire au jugé, ils ne faisaient que semer et récolter si ça avait poussé. Aujourd’hui les techniques de culture sont bien plus élaborées. La dynamique induite par cette décision va faire émerger de nouvelles velléités de produire de meilleures semences en exploitant l’intelligence collective que l’amélioration de la formation est susceptible d’induire.
La révolution numérique est en marche
C’est bien aussi parce que grâce à internet l’agriculture pourra se « mondialiser » d’elle-même. Elle n’a plus besoin d’un encadrement. La loi détermine les normes et à partir de là les agriculteurs s’organisent entre eux en formant leur communauté à travers la planète sans interférence. Alors qu’aujourd’hui la finance a une forte prégnance sur le marché mondial, pas seulement de la semence, aussi celui de la production, demain il pourrait l’être moins tout simplement grâce aux agriculteurs eux-mêmes au travers d’un gigantesque réseau qui s’auto-organise. Déjà aujourd’hui nombre de cultivateurs dans le monde vendent leur récolte directement sur le marché via internet. Tous ne sont pas bio, mais la quantité de variétés bio augmente constamment ainsi que la qualité du support en arrière-plan. Certaines variétés sont supportées par la communauté avec une qualité proche de celle des agro-industriels.
Le plus gros avantage de cette vision, c’est qu’alors les productions seront soustraites de la spéculation. Aujourd’hui, les financiers achètent massivement des céréales, qu’ils laissent pourrir sur les bateaux, ce qui abaisse leur qualité nutritionnelle, pour induire artificiellement une pénurie et donc faire monter les prix. Les Etats, eux, subventionnent l’agriculture, qui n’est pas rentable par elle-même en raison des prix de départ trop bas. D’un autre côté, via les aides au développement, ils achètent ensuite au prix fort les productions qu’ils ont subventionnées sur le marché pour les distribuer dans les pays qui connaissent la famine. Et le fait même d’apporter cette aide au développement en distribuant de la nourriture rend l’agriculture non rentable dans les pays concernés. Ce qui l’empêche d’émerger et donc contraint les Etats des économies avancées à acheter au prix fort des productions pour les distribuer en raison du fait que cette distribution empêche l’agriculture sur place d’être rentable. Plus absurde, c’est quand même difficile !!
Avec la mondialisation, la famine a été divisée par trois
Les émergents parviennent toutefois à développer une agriculture viable et donc l’aide au développement porte de moins en moins sur la distribution de nourriture, ce qui fait qu’un nombre croissant de pays rejoint la mondialisation. Ce qui permet aux Etats de ne plus à avoir à racheter à prix fort la production qu’ils ont dû subventionner parce qu’elle était trop bon marché. Si les cultivateurs du monde entier s’organisent entre eux, générant différents types de structures, coopératives, bourses, communautés, etc., qui interagissent entre elles, peut-être via la blockchain, alors il n’y a plus de spéculation sur les productions agricoles qui n’auront plus besoin d’être subventionnées pour être rentables.
De fait, cette dématérialisation du marché fait également qu’il n’est plus nécessaire de transporter pour vendre. On ne vend que des chiffres. Aujourd’hui, la production agricole de chaque pays est exportée pour être mélangée au reste de la production mondiale puis on réimporte pour consommation. Avec la révolution numérique, ce ne sont que les chiffres que l’on mélange et les productions manquantes que l’on importe. Les besoins immédiats sont relocalisés, ce qui réduit considérablement le transport. Limiter le transport limite par ailleurs également la propagation des maladies, ce qui contribue à l’écologie et la rentabilité agricole.